Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/240

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Je n’ay que ce rampart pour deffendre ma paine,
Et cacher mon desir aux esprits curieux,
Qui, voyans par dehors mes soupirs furieux,
Jugent combien dedans ma flamme est inhumaine.

Il n’y a desormais ny riviere ny bois,
Plaine, mont, ou rocher, qui n’ait sçeu par ma voix,
La trampe de ma vie à toute autre celée.

Mais j’ai beau me cacher, je ne puis me sauver
En desert si sauvage, ou si basse valée,
Qu’amour ne me découvre, et me vienne trouver.


XLVI


Aspre et sauvage cœur, trop fiere volonté,
Dessous une douce, humble, angelique figure,
Si par vostre rigueur plus longuement j’endure,
Vous n’aurez grand honneur de m’avoir surmonté.

Car soit quand le printans découvre sa beauté,
Soit quand le froid hyver fait mourir la verdure,
Nuit et jour je me plains de ma triste advanture,
De ma dame et d’Amour sans repos tourmenté.

Je vy d’un seul espoir, qui naist lors que je pense
Qu’on voit qu’un peu d’humeur par longue accoustumance
Cave la pierre ferme et la peut consumer.

Il n’y a cœur si dur, qui par constante preuve,
Pleurant, priant, aimant, à la fin ne s’esmeuve,
Ny vouloir si glacé qu’on ne puisse enflamer.


XLVII


Je crois que tout mon lict de chardons est semé,
Qu’il est rude et mal fait. Hé Dieu ! suis-je si tendre,
Que je n’y puis durer ? je ne fay que m’estendre
Et ne sens point venir le somme accoustumé.

Il est apres my-nuit, je n’ay pas l’œil fermé,
Et mes membres lassez repos ne peuvent prendre.
Sus, Phœbus, leve-toy, ne te fay plus attendre,
Et de tes clairs regars rens le ciel allumé.

Que la nuit m’importune, et m’est dure et contraire !
Mais pourtant c’est en vain, ô Phœbus que j’espere
D’avoir plus de clarté par ton nouveau retour ;

Car je serai couvert d’une effroyable nuë,
Tant qu’un plus beau soleil, qui me cache sa veuë,
Vienne luire à Paris et m’apporte le jour.