Page:Œuvres de Schiller, Histoire I, 1860.djvu/417

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profession. Le premier sait changer en sa propriété tout ce qui se fait et se pense autour de lui. Entres les têtes pensantes il règne une communauté intime de tous les biens de l’esprit ; ce que l’une acquiert dans l’empire de la vérité, elle l’a acquis pour toutes. Le savant de profession, au contraire, se retranche contre tous ses voisins, auxquels il envie et ôterait volontiers la lumière et le soleil, et il garde avec anxiété la barrière caduque qui ne le défend que bien faiblement contre la raison triomphante. Pour tout ce qu’il entreprend, il faut qu’il emprunte au dehors l’attrait et l’encouragement : l’esprit philosophique trouve dans son sujet et dans son travail même attrait et récompense. Avec combien plus d’enthousiasme il se mettra à l’œuvre ! Que son zèle sera plus vif ! Son courage et son activité plus soutenus ! Chez lui le travail se ravive par le travail. Même ce qui est petit prend de la grandeur sous sa main créatrice, parce qu’il a toujours, en s’en occupant, les yeux fixés sur le grand objet que le petit sert ; tandis que le savant de profession, même dans le grand, ne voit que le petit. Ce n’est pas ce qu’il fait, mais la manière dont il traite ce qu’il fait, qui distingue l’esprit philosophique. En quelque lieu qu’il se trouve et agisse, il est toujours au centre de tout, et, à quelque distance que l’objet de son activité le tienne du reste de ses frères, il leur est proche et allié par une intelligence qui agit avec harmonie : il les trouve là où se rencontrent toutes les têtes éclairées.

Dois-je continuer encore ce tableau, messieurs, ou puis-je espérer qu’entre les deux portraits que je viens de vous présenter vous avez déjà décidé quel est celui que vous voulez prendre pour modèle ? C’est le choix que vous avez fait entre les deux qui doit nous apprendre si l’on peut vous recommander l’étude de l’histoire universelle, ou vous en tenir quittes. Je n’ai affaire qu’au second, au philosophe : car en s’efforçant de se rendre utile au premier, la science même risquerait de trop s’éloigner de son plus noble but et d’acheter un petit profit par un trop grand sacrifice.

Une fois d’accord avec vous sur le point de vue sous lequel il faut déterminer le mérite d’une science, je puis maintenant aborder la question de l’histoire universelle, objet de la leçon d’aujourd’hui.