Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome I.djvu/11

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Comment l’école de Kant, pour qui la métaphysique n’est qu’une chimère, comment l’école écossaise, si timide, si discrète, si bornée dans son horizon, auraient-elles pu s’intéresser aux témérités spéculatives de Spinoza ? L’école de Locke et celle de Condillac n’y voient guère que des définitions arbitraires et des abus de mots[1]. Diderot, d’Holbach et leurs amis croient suivre Spinoza, quand ils reculent jusqu’à Épicure. Voltaire, qui en fait de métaphysique effleure tout, parce qu’il dédaigne tout, prend Spinoza pour un matérialiste, et comme Bayle, avec plus de légèreté encore, mais du moins avec plus de sincérité, il voit dans l’Éthique un traité régulier d’athéisme[2]. C’est que Voltaire et toute l’Encyclopédie n’avaient lu Spinoza que dans Boulainvilliers, ou, pour mieux dire, toute la philosophie de Spinoza était pour eux dans le Théologico-politique[3].

Les choses en étaient là vers la fin du xviiie siècle, et Spinoza, le vrai et complet Spinoza, celui de l’Éthique, était profondément inconnu et presque universellement décrié, quand éclata tout d’un coup, dans cette Allemagne où le scepticisme de Kant semblait avoir découragé pour jamais l’esprit humain, ce puissant mouvement d’idées spéculatives, ce généreux essor intellectuel qui s’est propagé dans toute l’Europe et a donné depuis cinquante ans à la philosophie du xixe siècle Fichte, Schelling, Hegel et M. Cousin. C’est de cette époque de renaissance que datent le renom et l’influence de Spinoza.

  1. Condillac, Traité des Systèmes, chap. x, le Spinozisme réfuté.
  2. Voltaire, Lettres sur les Juifs, lettre X. — Le Philos, ignor. lettre XI. — Les Systèmes, notes.
  3. Tout le dix-huitième siècle a confondu le spinozisme et le matérialisme. Vesana Stratonis restituit commenta, dit le cardinal de Polignac dans l’Anti-Lucrèce, en parlant de Spinoza.