Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome I.djvu/12

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Jacobi met le public dans la confidence d’une conversation qu’il a eue avec Lessing et dont le système de Spinoza a fait tous les frais. « J’étais allé, dit-il, chez Lessing dans l’espérance qu’il me viendrait en aide contre Spinoza. Mais quoi ! Jacobi trouve dans l’illustre poëte un spinoziste déclaré « Ἔϰ καἰ πᾶν, s’écrie Lessing, voilà la philosophie. »

Mendelssohn voit dans ce récit un outrage à la mémoire de Lessing, et il prend la plume pour la défendre. De là une controverse vive, passionnée, violente, qui émeut toute l’Allemagne, et à laquelle Claudius, Herder, Heydenreich, Schelling, prennent la part la plus active. Il ne s’agit bientôt plus du spinozisme de Lessing, mais du spinozisme lui-même. On commence à le voir partout. Lessing l’avait trouvé dans Leibnitz, Jacobi le trouve dans Lessing. La doctrine de Fichte n’est qu’un spinozisme retourné ; celle de Schelling, un spinozisme déguisé. On traduit Spinoza ; on recueille ses œuvres, le célèbre docteur Paulus en donne une édition complète. Quelques notes marginales, de la main de Spinoza, ne s’y rencontraient pas ; le savant de Murr les publie. On trouve quelques variantes très-insignifiantes de ces notes ; le docteur Dorow ne veut pas que le public en soit privé.

L’enthousiasme gagne les poëtes, et bientôt il ne connaît plus de bornes. « Ne pourrait-on pas, disait Herder, persuader à Gœthe de lire un autre livre que l’Éthique[1] ? » L’ardent Novalis s’enflamme pour le Dieu-nature de Spinoza, qui s’agite sourdement dans les eaux et les vents, sommeille dans la plante, s’éveille dans l’animal, pense dans l’homme, et remplit tout de son activité inépui-

  1. Gœthe a dit quelque part : Je me réfugiai dans mon antique asile, l’Éthique de Spinoza. »