Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome I.djvu/64

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il est Dieu lui-même en tant qu’étendu. Le Temps et la Durée, au contraire, simples conceptions de la pensée, moins encore, pures formes de l’imagination[1], ne sont point infinis, mais indéfinis. Le Temps même n’est point indéfini car, pour Spinoza, il n’est qu’une détermination de la Durée[2] ; la Durée n’est point séparée des choses qui durent ; elle est l’ordre de leur mouvement. À son plus haut degré, prise dans sa totalité indéfinie, elle représente l’écoulement éternel des modes de la substance. N’ayant pas commencé et ne pouvant finir, elle imite l’Éternité dans un effort perpétuel et une perpétuelle impuissance à l’égaler[3].

Spinoza, qui réduit ainsi la Durée à un ordre de succession dans les mouvements, aurait dû examiner plus attentivement si l’Étendue est autre chose en soi qu’un ordre de coexistence dans les composés. Il démontre, avec une force singulière, que l’étendue infinie ne peut être, en tant qu’infinie, qu’une forme de l’existence divine ; mais cela suppose démontré que l’Étendue est distincte des corps et qu’elle existe en soi d’une existence propre et absolue. Or nulle part Spinoza n’a donné ni même essayé cette démonstration.

C’est ici que se découvre, par un point capital, l’éducation cartésienne de Spinoza. Comme Descartes, comme Malebranche, il ne voyait dans les corps que des modalités de l’étendue. Les corps ne sont point des êtres distincts ils ne se composent point de parties effectives et réelles, séparées ou du moins réparables par des intervalles vides, comme les atomes de Démocrite et de

  1. Lettre à Meyer, tome III, page 384.
  2. Ibid., page 361.
  3. Ibid., page 359.