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TRAITÉ

taient d’être au-dessus du reste des mortels, et méprisaient, en conséquence, les autres hommes et la science qui leur était commune avec eux. Enfin, les prophètes passaient pour avoir l’esprit de Dieu, parce que les hommes, dans l’ignorance des causes de la connaissance prophétique, avaient une grande admiration pour elle, et, la rapportant à Dieu lui-même, comme ils font toutes les choses extraordinaires, lui donnaient le nom de connaissance divine.

Nous pouvons donc maintenant dire sans scrupule que les prophètes ne connaissaient ce qui leur était révélé par Dieu qu’au moyen de l’imagination, c’est-à-dire par l’intermédiaire de paroles ou d’images, vraies ou fantastiques. Ne trouvant en effet dans l’Écriture que ces moyens de révélation, nous n’avons pas le droit d’en supposer aucun autre. Maintenant, par quelle loi de la nature ces révélations se sont-elles accomplies ? J’avoue que je l’ignore. Je pourrais dire, comme beaucoup d’autres, que tout s’est fait par la volonté de Dieu ; mais j’aurais l’air de parler pour ne rien dire. Car ce serait comme si je voulais expliquer la nature d’une chose particulière par quelque terme transcendantal. Tout a été fait par la puissance de Dieu ; et comme la puissance de la nature n’est rien autre que la puissance même de Dieu[1], il s’ensuit que nous ne connaissons point la puissance de Dieu, en tant que nous ignorons les causes naturelles des choses. Il y a donc une grossière absurdité à recourir à la puissance de Dieu quand nous ignorons la cause naturelle d’une chose, c’est-à-dire la puissance de Dieu, elle-même. Mais il n’est pas nécessaire pour notre dessein d’assigner la cause de la connaissance prophétique ; car nous avons expressément averti que nous nous bornerions ici à examiner les principes dans l’Écriture, afin d’en tirer, comme nous ferions de données naturelles, certaines conséquences, sans rechercher d’ailleurs d’où sont

  1. L’Éthique, part. 1, Schol. de la Propos. 15 ; Propos. 18, 25, 26, 29, etc.