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TRAITÉ

vraie, et ne pouvons les expliquer par leurs premières causes. Cherchons donc ce qu’apprend l’Écriture sur la certitude des prophètes ; c’est le sujet du chapitre suivant.


CHAPITRE II

DES PROPHÈTES

Il résulte du chapitre qui précède que des prophètes n’eurent pas en partage une âme plus parfaite que celle des autres hommes, mais seulement une puissance d’imagination plus forte. C’est aussi ce que nous enseignent les récits de l’Écriture. Il est certain, en effet, que Salomon excellait entre les hommes par sa sagesse ; il ne l’est pas qu’il eût le don de prophétie. Heman, Darda, Kalchol étaient des hommes d’une profonde érudition, et cependant ils n’étaient pas prophètes ; au lieu que des hommes grossiers, sans lettres, et même des femmes, comme Hagar, la servante d’Abraham, jouirent du don de prophétie. Tout ceci est parfaitement d’accord avec l’expérience et la raison. Ce sont, en effet, les hommes qui ont l’imagination forte qui sont les moins propres aux fonctions de l’entendement pur, et réciproquement les hommes éminents par l’intelligence ont une puissance d’imagination plus tempérée, plus maîtresse d’elle-même, et ils ont soin de la tenir en bride afin qu’elle ne se mêle pas avec les opérations de l’entendement. Ainsi, c’est s’abuser totalement que de chercher la sagesse et la connaissance des choses naturelles et spirituelles dans les livres des prophètes ; et puisque l’esprit de mon temps, la philosophie et la chose elle-même m’y invitent, j’ai dessein de démontrer ici ce principe tout à mon aise, sans m’inquiéter des cris de la superstition, cette ennemie mortelle de tous ceux qui aiment la science véritable et mènent une vie raisonnable. Hélas ! je le sais, les choses en sont venues à ce point que des hommes qui osent dire ouvertement qu’ils n’ont point l’idée de Dieu,