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THÉOLOGICO-POLITIQUE.

tion de l’objet qu’il aime par-dessus tous les autres, et réciproquement. D’où il suit que celui-là est nécessairement le plus parfait et participe le plus complètement à la souveraine béatitude, qui aime par-dessus toutes choses la connaissance intellectuelle de l’être le plus parfait, savoir, Dieu, et s’y complaît de préférence à tout le reste. Voilà donc notre souverain bien, voilà le fond de notre béatitude : la connaissance et l’amour de Dieu. Ce principe une fois posé, tous les moyens nécessaires pour atteindre la fin suprême des action humaines, je veux dire Dieu, en tant que nous en avons l’idée, peuvent très-bien s’appeler des commandements de Dieu, puisque l’emploi de ces moyens nous est en quelque sorte prescrit par Dieu même, en tant qu’il existe dans notre âme ; et par conséquent la règle de conduite qui se rapporte à cette fin peut aussi très-bien recevoir le nom de loi divine. Maintenant, quels sont ces moyens ? quelle est la règle de conduite qui nous est imposée pour atteindre à cette fin ? comment l’État y trouve-t-il son plus solide fondement ? ce sont là des questions qui embrassent la morale tout entière. Or je ne veux traiter ici de la loi divine que d’une manière générale.

Puisqu’il est établi maintenant que l’amour de Dieu fait la suprême félicité de l’homme et sa béatitude[1], qu’il est la fin dernière et le terme de toutes les actions humaines on doit conclure que celui-là seul observe la loi divine, qui prend soin d’aimer Dieu, non par crainte du châtiment ou par amour d’un autre objet, comme la gloire ou les plaisirs célestes, mais par cela seul qu’il connaît Dieu, ou encore parce qu’il sait que la connaissance et l’amour de Dieu sont le souverain bien. La loi divine est donc tout entière dans ce précepte suprême : Aimez Dieu comme votre souverain bien ; ce qui veut dire, je le répète, qu’il ne faut point aimer Dieu par crainte du châtiment, ni par amour pour un autre objet ; car l’idée de

  1. Voyez Éthique, part. 5, Propos. 36 et son Scholie.