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TRAITÉ

lois et en prescrivit l’exécution ; mais il mit tous ses soins à ce que le peuple fît son devoir de son propre mouvement et non par crainte. Deux raisons principales lui conseillaient d’agir de la sorte : l’entêtement du peuple (que la force toute seule ne peut surmonter) et la guerre toujours menaçante. Or on sait que pour réussir à la guerre il faut plutôt encourager les soldats que les effrayer par des menaces et des supplices ; car alors chacun a plus de zèle pour faire briller son courage et sa grandeur d’âme qu’il n’en aurait pour éviter un châtiment. C’est pour cela que Moïse, par vertu divine et par ordre divin, introduisit la religion dans le gouvernement ; de cette façon le peuple faisait son devoir, non par crainte, mais par dévotion. Moïse s’attacha aussi à combler les Juifs de bienfaits, et il leur fit au nom de Dieu pour l’avenir les plus brillantes promesses. Ses lois furent, à mon avis, d’une sévérité très-modérée, et c’est un point que chacun m’accordera aisément, s’il veut bien étudier suffisamment ces lois et tenir compte de toutes les conditions qui étaient requises pour condamner un coupable. Enfin, pour que le peuple, qui était incapable de se gouverner par lui-même, fût dans une dépendance étroite de son chef, il ne laissa aucune des actions de la vie à la discrétion de ces hommes qu’un long esclavage avait accoutumés à l’obéissance ; si bien qu’il leur était impossible d’agir un seul instant sans être obligés de se souvenir de la loi et d’obéir à ses prescriptions, c’est-à-dire à la volonté du souverain. Pour labourer, pour semer, pour faire la moisson, ils n’avaient pas à suivre leur volonté, mais bien un règlement précis et déterminé. Ce n’est pas tout : ils ne pouvaient pas manger, se vêtir, raser leur tête ou leur barbe, s’égayer un instant, rien faire, en un mot, sans se conformer aux ordres et aux préceptes de la loi. Et non-seulement leurs actions étaient réglées d’avance, mais ils étaient obligés d’avoir au seuil de leur maison, sur leurs mains, sur leur front, des signes qui sans cesse les rappelassent à l’obéissance.