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THÉOLOGICO-POLITIQUE.

n’écrit plus que pour les doctes, et ne peut plus être compris que d’un nombre d’individus très-petit par rapport à la masse ignorante de l’humanité.

On conçoit maintenant que l’Écriture sainte ayant été révélée pour la nation juive et même pour tout le genre humain, les vérités qu’elle contient aient dû être mises à la portée du vulgaire et fondées sur la seule expérience. Je m’explique. En fait de vérités spéculatives, l’enseignement de l’Écriture se réduit à celles-ci : qu’il existe un Dieu, c’est-à-dire un Être qui a fait toutes choses et qui les dirige et les maintient avec une extrême sagesse ; que ce Dieu prend grand soin des hommes, je veux dire de ceux qui vivent dans la piété et l’honnêteté, et qu’il accable les autres de supplices et les sépare d’avec les bons. Toutes ces vérités, l’Écriture les prouve par l’expérience, c’est-à-dire par une suite de récits ; elle ne fait pas de définitions ; elle proportionne ses paroles et ses preuves à l’intelligence du peuple ; et bien que l’expérience soit incapable de nous donner aucune connaissance claire des vérités qu’enseignent les saintes Écritures et de nous faire comprendre ce que c’est que Dieu, pourquoi il maintient et dirige toutes choses, pourquoi enfin il prend soin de l’humanité, elle a pourtant la force d’instruire et d’éclairer les hommes autant qu’il est nécessaire pour plier les âmes à l’obéissance et à la dévotion.

Les principes que je viens de poser expliquent assez, ce me semble, sous quel rapport et à quelle sorte de personnes la croyance aux récits historiques de l’Écriture est nécessaire. On voit en effet que le peuple, dont le génie grossier est incapable de percevoir les choses d’une façon claire et distincte, ne peut absolument se passer de ces récits. Une autre conséquence à laquelle nous sommes conduits, c’est que celui qui nie les récits de l’Écriture parce qu’il ne croit pas en Dieu ni en sa providence est un impie ; mais pour celui qui sans connaître ces récits ne laisse pas de savoir par la lumière naturelle