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TRAITÉ

celui-là, dis-je, est véritablement heureux, et l’esprit du Christ est en lui. C’est là justement le contraire du sentiment des Juifs : ils prétendent que les croyances vraies et la vraie règle de conduite ne servent de rien à la béatitude, tant que les hommes ne sont éclairés que de la lumière naturelle et ne connaissent pas la loi révélée à Moïse. Voici les propres paroles de Maimonides, qui ose professer ouvertement cette doctrine (Rois, chap. viii, loi 11) : « Quiconque reçoit les sept commandements[1] et les exécute avec zèle doit être compté parmi les pieux des nations et les héritiers du monde à venir ; à condition toutefois qu’il reçoive et pratique ces commandements, parce que Dieu les a donnés dans sa loi et nous les a révélés par l’organe de Moïse, après les avoir déjà prescrits aux fils de Noé ; mais s’il ne pratique les commandements de Dieu que par l’inspiration de la raison, ce n’est plus un habitant du céleste royaume, ce n’est plus un des pieux ni un des savants des nations. » À ces paroles de Maimonides, R. Joseph, fils de Shem Tob, dans son livre intitulé Kelod Elohim, c’est-à-dire Gloire de Dieu, ajoute qu’Aristote (le premier des auteurs à ses yeux, et qui dans sa morale est arrivé à la perfection), Aristote lui-même, bien qu’il ait embrassé tout ce qui se rapporte à la méthode véritable et n’ait rien oublié d’essentiel, n’a pourtant pas pu faire son salut, parce qu’il n’a pas connu les principes qu’il enseigne comme des enseignements divins révélés par la voix des prophètes, mais comme des données de la raison. Mais j’espère bien que tout lecteur attentif reconnaîtra que ce sont là de pures imaginations, qui n’ont de fondement ni dans la raison ni dans l’Écriture ; de sorte qu’il suffit, pour réfuter de semblables doctrines, de les exposer. Je ne veux pas non plus discuter l’opinion de ceux qui prétendent que la lumière naturelle n’a rien de bon à nous

  1. On remarquera que les Juifs croient que Dieu n’a donné à Noé que sept commandements, qui seuls sont obligatoires pour toutes les nations, tandis qu’il en a donné un plus grand nombre à la nation hébraïque, par un privilège unique, et pour la rendre plus heureuse que toutes les autres. (Note de Spinoza.)