Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/186

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
118
TRAITÉ

et les préjugés de l’écrivain. Concluons donc sans hésiter que tout ce qu’il y a de vrai dans les récits de l’Écriture s’est passé selon les lois de la nature qui régissent toutes choses ; et si l’on y rencontre quelque événement qui soit évidemment contraire aux lois naturelles, ou ne puisse absolument pas s’en déduire, il faut croire alors qu’il a été ajouté aux saintes Écritures par une main sacrilège. Car ce qui est contre la nature est contre la raison ; et ce qui est contre la raison, étant absurde, doit être immédiatement rejeté.

Il ne me reste plus qu’à présenter quelques remarques sur l’interprétation des miracles, ou plutôt à reprendre (car le principal est dit) les points que je viens d’exposer, et à les éclaircir par un ou deux exemples. Ce qui rend ces explications nécessaires, c’est que je crains qu’en interprétant mal quelques miracles, on ne suppose témérairement qu’on a rencontré dans l’Écriture quelque chose de contraire à la lumière naturelle. Il est bien rare que les hommes racontent un événement tout simplement, comme il s’est passé, sans rien ajouter au récit. C’est surtout quand ils voient et entendent quelque chose de nouveau qu’il leur arrive, à moins qu’ils ne soient fortement en garde contre leurs opinions préconçues, d’en avoir l’esprit tellement prévenu, qu’ils aperçoivent les choses tout autrement qu’ils ne les voient ou les entendent raconter, particulièrement si l’événement dont il s’agit passe la portée de celui qui le raconte ou de celui qui l’entend raconter, et plus encore si tous deux sont intéressés à ce que les choses se soient passées de telle ou telle façon. De là vient que, dans les Chroniques et les Histoires, les hommes exposent bien plutôt leurs opinions sur les choses que les choses elles-mêmes ; de telle sorte que, si un seul et même événement est raconté par deux hommes d’opinions différentes, on pourrait croire qu’il s’agit de deux événements différents ; et il est souvent très-facile de déterminer, par le caractère d’une certaine histoire, les opinions de l’historien. Je