Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/249

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superstitieux que les Juifs, trouvant les deux leçons (la textuelle et la marginale) également bonnes, et ne voulant en abandonner aucune, décidèrent que l’une des deux serait constamment écrite et l’autre constamment lue. Ils craignirent, en matière si importante, de faire un choix définitif, et de prendre la mauvaise leçon en voulant déterminer la bonne ; ce qui aurait pu arriver en effet, s’ils avaient décidé que l’une des deux leçons serait à la fois adoptée à la lecture et par écrit, d’autant mieux que l’on n’écrivait pas de notes marginales sur les exemplaires sacrés. Peut-être aussi voulait-on que certains mots, quoique bien écrits dans le texte, fussent modifiés ou suppléés à la lecture de la façon qui était indiquée à la marge. Et de là l’usage s’établit d’adopter généralement, à la lecture, la leçon marginale. On me demandera pourquoi les scribes marquaient ainsi à la marge les changements qu’il fallait faire au texte en le lisant ; c’est ce que je vais expliquer à l’instant. Car je suis loin de penser que toutes les notes marginales fussent des leçons douteuses ; plusieurs étaient destinées à remplacer les mots tombés en désuétude, ou bien ceux que l’état des mœurs ne permettait plus de lire tout haut. On sait que les anciens écrivains, hommes simples et sans malice, laissaient là les circonlocutions à l’usage des cours et appelaient les choses par leur nom. Quand vinrent les époques de luxe et de corruption, les expressions qui ne blessaient point l’oreille chaste des anciens commencèrent à passer pour obscènes. Or, bien que ce ne fût pas là une bonne raison pour altérer l’Écriture, on voulut toutefois avoir égard à la faiblesse du peuple, et l’ordre fut donné de remplacer les mots qui exprimaient l’union sexuelle où les excréments par des mots plus honnêtes, ceux-là même qui se trouvaient à la marge. Du reste, quelle que soit la cause qu’on assigne à l’usage établi de suivre la leçon marginale dans la lecture et dans l’interprétation de la Bible, il est certain du moins que ce n’a pas été la prétendue conviction que l’on avait, suivant les pharisiens, de la légi-