Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/271

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faux, comme on peut le prouver par l’Écriture elle-même. Les Hébreux ont en effet persévéré constamment dans leur foi, du vivant de Josué et des anciens, et depuis sous Samuel, David, Salomon, etc. Ainsi ces paroles de Moïse ne sont qu’un enseignement moral, une espèce de mouvement oratoire qui lui fait prédire la rébellion du peuple, que son imagination se représente vivement dans l’avenir. Ce qui m’empêche de dire que Moïse ait prononcé ces paroles par une inspiration personnelle et afin de montrer au peuple la vraisemblance de sa prédiction, ce qui me porte à croire, au contraire, qu’elles lui ont été suggérées par révélation et en tant que prophète, c’est qu’au verset 21 de ce même chapitre on lit que Dieu révéla cette même chose à Moïse en d’autres termes, quoiqu’il ne fût évidemment pas nécessaire de confirmer cette prédiction et ce décret par des raisons vraisemblables, et qu’il suffît de les représenter vivement à son imagination (ainsi que nous l’avons montré au chapitre I) ; ce qui ne pouvait mieux se faire pour Moïse qu’en lui faisant imaginer comme future une rébellion qu’il avait si souvent éprouvée. C’est ainsi qu’il faut entendre tous les arguments de Moïse qui se trouvent dans les cinq livres qu’on lui attribue ; ce ne sont pas des déductions de la raison, mais seulement des façons de parler par lesquelles il exprimait avec plus de force les décrets de Dieu qu’il se représentait vivement. Je ne veux pas cependant nier d’une manière absolue que les prophètes n’aient pu raisonner d’après les révélations qu’ils recevaient ; j’affirme seulement que plus les prophètes raisonnent juste, plus la connaissance qu’ils ont des choses révélées approche des connaissances naturelles, et que rien ne prouve plus évidemment le caractère surnaturel de leur science que de voir que leurs paroles sont ou de purs dogmes, ou des décrets, ou des sentences ; et de tout cela je conclus que ce grand prophète, Moïse, n’a fait aucun argument en forme, tandis qu’au contraire les longues déductions et argumentations de Paul, telles qu’on les lit dans