Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/293

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des attributs qui ne conviennent à Dieu qu’en tant qu’on le considère dans son rapport avec les créatures ou en tant qu’elles lui servent de manifestation : de ce nombre est El, ou, en ajoutant la lettre paragogique he, Eloha, qui veut dire puissant, comme on le sait ; nom qui ne convient à Dieu que par excellence, de même que nous appelons Paul l’Apôtre. Ce nom d’ailleurs signifie les différentes vertus de la puissance, de sorte qu’en l’appelant El (puissant) on dit qu’il est grand, juste, miséricordieux, etc. ; on met donc ce nom au pluriel et on lui donne un sens singulier pour embrasser à la fois tous les attributs divins, usage très-fréquent dans l’Écriture. Ainsi, puisque Dieu dit à Moïse que les patriarches ne l’ont pas connu sous le nom de Jéhovah, il s’ensuit qu’ils n’ont connu de lui aucun attribut divin qui explique son essence absolue, mais seulement ses effets et ses promesses, c’est-à-dire sa puissance en tant qu’elle se manifeste par les choses visibles. Or Dieu ne parle pas ainsi à Moïse pour les accuser d’infidélité, mais au contraire pour exalter leur foi et leur crédulité ; puisque, n’ayant point eu, comme Moïse, une connaissance toute particulière de Dieu, ils ont cru fermement à la réalisation de ses promesses et bien mieux que Moïse, qui, malgré les pensées plus sublimes qu’il avait sur Dieu, douta néanmoins des promesses divines et fit un reproche à Dieu de ce qu’au lieu du salut qui leur était promis, les Juifs avaient vu empirer leurs affaires. Ainsi, puisque les patriarches n’ont pas connu le nom particulier de Dieu, et que Dieu parle à Moïse de cette ignorance pour exalter leur foi et leur simplicité d’esprit, et pour marquer en même temps le prix de la grâce singulière accordée à Moïse, il s’ensuit très-évidemment, comme nous l’avons établi en premier lieu, que les hommes ne sont pas tenus de connaître les attributs de Dieu, et que cette grâce est un don particulier qui n’a été réservé qu’à quelques fidèles. Il serait superflu d’apporter en preuve d’autres témoignages de l’Écriture. Qui ne voit en effet que la connaissance