Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/296

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que la connaissance que nous avons de Dieu par l’entendement, et qui considère la nature telle qu’elle est en elle-même, nature que les hommes ne peuvent imiter par une certaine manière de vivre et qu’ils ne peuvent non plus prendre pour exemple pour bien régler leur vie, n’appartient aucunement à la foi et à la religion révélée, et conséquemment que les hommes y peuvent errer complètement sans qu’il y ait à cela aucun mal. Il n’est donc pas du tout étonnant que Dieu se soit mis à la portée de l’imagination et des préjugés des prophètes, et que les fidèles aient eu sur Dieu diverses opinions, comme nous l’avons prouvé au chapitre II par de nombreux exemples. Il n’est pas non plus étrange que les livres sacrés parlent partout si improprement de Dieu, qu’ils lui donnent des mains, des pieds, des yeux, des oreilles, une âme, un mouvement local, et jusqu’aux passions du cœur comme la jalousie, la miséricorde, etc… ; et enfin qu’ils le représentent comme un juge assis dans le ciel sur un trône royal, ayant le Christ à sa droite. Un pareil langage est évidemment approprié à l’intelligence du vulgaire, à qui l’Écriture s’efforce de donner, non la science, mais l’esprit d’obéissance. Cependant les théologiens ordinaires ont cherché à donner à ces expressions un sens métaphorique, toutes les fois que, par le secours de la lumière naturelle, ils ont pu reconnaître qu’elles ne convenaient pas à la nature divine, et ils n’ont pris à la lettre que les passages qui passaient la portée de leur intelligence. Mais s’il fallait nécessairement entendre et expliquer par des métaphores tous les endroits de ce genre qui se trouvent dans l’Écriture, on conçoit qu’elle n’eût pas été composée pour le peuple et le grossier vulgaire, mais seulement pour les hommes les plus habiles et surtout pour les philosophes. Bien plus, s’il y avait impiété à avoir sur Dieu, dans une pieuse simplicité d’esprit, les croyances que nous venons de dire, certes les prophètes auraient dû surtout éviter, du moins par égard pour la faiblesse du peuple, des phrases semblables, et enseigner