Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/307

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principal but de ce Traité, nous voulons, avant d’aller plus loin, prier et supplier le lecteur de lire avec la plus grande attention ces deux chapitres, de ne pas se lasser de les méditer ; nous voulons surtout qu’il soit persuadé que nous n’avons pas écrit dans l’intention d’introduire des nouveautés, mais pour détruire des abus que nous espérons voir enfin disparaître.


CHAPITRE XV.


QUE LA THÉOLOGIE N’EST POINT LA SERVANTE DE LA RAISON, NI LA RAISON CELLE DE LA THÉOLOGIE. — POURQUOI NOUS SOMMES PERSUADÉS DE L’AUTORITÉ DE LA SAINTE ÉCRITURE.


Ceux qui ne savent pas séparer la philosophie de la théologie discutent pour savoir si l’Écriture doit relever de la raison ou la raison de l’Écriture, c’est-à-dire si le sens de l’écriture doit être approprié à la raison, ou la raison pliée à l’Écriture : de ces deux prétentions, celle-là est soutenue par les dogmatiques, celle-ci par les sceptiques, qui nient la certitude de la raison. Mais il résulte de ce que nous avons déjà dit que les uns tout aussi bien que les autres sont dans une erreur absolue. Car, quelque opinion que nous adoptions, il nous faut corrompre l’une de ces choses, ou la raison ou l’Écriture. N’avons-nous pas fait voir, en effet, que l’Écriture ne s’occupe point de matières philosophiques, qu’elle n’enseigne que la piété, et que tout ce qu’elle renferme a été accommodé à l’intelligence et aux préjugés du peuple ? Celui donc qui veut la plier aux lois de la philosophie prêtera certainement aux prophètes des opinions qu’ils n’ont pas eues même en songe, et interprétera mal leur pensée ; d’un autre côté, celui qui subordonne la raison et la philosophie à la théologie est conduit à admettre les préjugés d’un ancien peuple comme des choses divines et à en remplir aveuglément son esprit ; et ainsi tous les deux, celui qui repousse la raison et celui qui l’admet, tombent