Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/309

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expliquer ces endroits métaphoriquement, non parce que la pluralité des dieux est en opposition avec la raison, mais parce que l’Écriture elle-même affirme directement qu’il n’y a qu’un Dieu. De même, parce que l’Écriture (Deutéron., chap. IV, vers. 15) affirme directement (à ce qu’il pense) que Dieu est incorporel, sur la seule autorité de ce passage, et non sur l’autorité de la raison, nous sommes obligés de croire que Dieu n’a pas de corps ; et conséquemment, d’après la seule autorité de l’Écriture, nous devons donner un sens métaphorique à tous les passages où Dieu est représenté avec des mains, des pieds, etc., la forme seule du langage pouvant ici faire supposer que Dieu est corporel. Voilà l’opinion de cet auteur, à laquelle j’applaudis, en ce sens qu’il veut expliquer l’Écriture par l’Écriture ; mais je ne puis comprendre qu’un homme si raisonnable s’applique à détruire l’Écriture elle-même. Il est vrai que l’Écriture doit être expliquée par l’Écriture tant qu’il s’agit de déterminer le sens des passages et l’intention des prophètes ; mais quand nous avons découvert le vrai sens, il faut nécessairement recourir au jugement et à la raison pour y donner notre assentiment. Que si la raison, malgré ses réclamations contre l’Écriture, doit cependant s’y soumettre sans réserve, je demande si cette soumission se fera d’une manière raisonnable ou sans raison et aveuglément. Dans ce dernier cas, nous agissons en stupides, privés de jugement ; dans le premier, c’est par l’ordre seul de la raison que nous acceptons l’Écriture, et nous ne l’accepterions par conséquent pas, si elle était contraire à la raison. Je demanderai encore qui peut accepter quelque principe par la pensée, si la raison s’y oppose. Car ce que refuse la pensée est-il autre chose que ce que la raison repousse ? Et certes, je ne puis assez m’étonner que l’on veuille soumettre la raison, ce don sublime, cette lumière divine, à une lettre morte qui a pu être corrompue par la malice des hommes, et qu’on ne regarde nullement comme un crime