Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/318

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maine de la vérité. Si donc ils prétendent avoir un autre esprit pour les instruire de la vérité, c’est de leur part une présomption téméraire ; en tenant ce langage, ils ne consultent que leurs préjugés et leurs passions ; ou, dans la crainte d’être vaincus par les philosophes et exposés à la raillerie publique, ils se réfugient dans les choses saintes. Vain recours ! Car où trouver un autel tutélaire, après avoir outragé la majesté de la raison ? Mais je ne les tourmenterai pas davantage ; je pense avoir satisfait à l’intérêt de ma cause, puisque j’ai fait voir par quelle raison la philosophie et la théologie doivent être séparées l’une de l’autre, en quoi elles consistent principalement toutes deux, qu’elles ne relèvent point l’une de l’autre, mais que chacune est maîtresse paisible dans sa sphère, puisqu’enfin j’ai montré, lorsque l’occasion s’en est présentée, les absurdités, les inconvénients et les malheurs qui ont résulté de ce que les hommes ont confondu étrangement ces deux puissances, n’ont pas su les séparer et les distinguer avec précision l’une de l’autre. Mais, avant d’aller plus loin, je veux marquer ici expressément (quoique je l’aie déjà fait) l’utilité et la nécessité de la sainte Écriture, ou de la révélation, que j’estime très-grandes. Car, puisque nous ne pouvons, par le seul secours de la lumière naturelle, comprendre que la simple obéissance soit la voie du salut[1], puisque la révélation seule nous apprend que cela se fait par une grâce de Dieu toute particulière que la raison ne peut atteindre, il s’ensuit que l’Écriture a apporté une bien grande consolation aux mortels. Tous les hommes en effet peuvent obéir, mais il y en a bien peu, si vous les comparez à tout le genre humain, qui acquièrent la vertu en ne suivant que la direction de la raison, à ce point que, sans ce témoignage de l’Écriture, nous douterions presque du salut de tout le genre humain.

  1. Voyez les Notes marginales de Spinoza, note 27.