Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/325

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universellement redouté : ce droit il le gardera tant qu’il aura le pouvoir d’exécuter ses volontés ; autrement son autorité sera précaire, et quiconque sera plus fort que lui ne sera pas tenu, à moins qu’il ne le veuille bien, de lui garder obéissance.

Voici donc de quelle manière peut s’établir une société et se maintenir l’inviolabilité du pacte commun, sans blesser aucunement le droit naturel : c’est que chacun transfère tout le pouvoir qu’il a à la société, laquelle par cela même aura seule sur toutes choses le droit absolu de la nature, c’est-à-dire la souveraineté, de sorte que chacun sera obligé de lui obéir, soit librement, soit dans la crainte du dernier supplice. La société où domine ce droit s’appelle démocratie, laquelle est pour cette raison définie : une assemblée générale qui possède en commun un droit souverain sur tout ce qui tombe en sa puissance. Il s’ensuit que le souverain n’est limité par aucune loi, et que tous sont tenus de lui obéir en toutes choses ; car c’est ce dont ils ont tous dû demeurer d’accord, soit tacitement, soit expressément, lorsqu’ils lui ont transféré tout leur pouvoir de se défendre, c’est-à-dire tout leur droit. Car s’ils avaient voulu se réserver quelque droit, ils auraient dû prendre leurs précautions pour pouvoir le défendre et le garantir ; mais comme ils ne l’ont pas fait, et que d’ailleurs ils n’auraient pu le faire sans diviser l’État, et conséquemment sans le ruiner, ils se sont par cela même soumis absolument à la volonté du souverain ; puisqu’ils l’ont fait absolument, et cela, comme nous l’avons déjà prouvé, aussi bien par la force de la nécessité que par les conseils de la raison, il s’ensuit qu’à moins de vouloir être ennemis de l’État et d’agir contre la raison, qui nous engage à le défendre de toutes nos forces, nous sommes obligés absolument d’exécuter tous les ordres du souverain, même les plus absurdes ; car la raison nous prescrit entre deux maux de choisir le moindre. Ajoutez que si l’on agissait autrement, chacun ne serait pas moins facilement exposé