Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/327

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

liberté ; mais elle ne produit pas pour cela l’esclavage, qui est tout entier dans la manière d’agir. Si ce n’est pas l’intérêt du sujet, mais celui du maître qui est la fin de l’action, il est vrai que le sujet est esclave et inutile à lui-même ; mais dans une république et en général dans un État où le salut de tout le peuple et non de l’individu qui commande est la suprême loi, celui qui obéit en tout au souverain pouvoir ne doit pas être regardé comme un esclave inutile à soi-même, mais comme un sujet ; aussi la république la plus libre est-elle celle dont les lois sont fondées sur la saine raison ; car chacun y peut, quand il le veut, être libre[1], c’est-à-dire suivre dans sa conduite les lois de la raison et de l’équité. De même les enfants, bien qu’ils soient tenus d’obéir à tous les ordres de leurs parents, ne sont pas tenus pour esclaves, parce que les ordres des parents ont surtout pour but l’intérêt des enfants. Nous établissons donc une grande différence entre l’esclave, le fils et le sujet, et l’on peut la définir ainsi : l’esclave est celui qui est obligé d’obéir aux ordres de son maître dans l’intérêt de celui qui les prescrit ; le fils en obéissant à son père n’agit que dans ses propres intérêts ; enfin le sujet fait, par ordre du souverain, ce qui est utile à la communauté, et conséquemment aussi à lui-même. Je pense, par ces explications, avoir montré assez clairement en quoi consistent les fondements de la démocratie ; j’ai mieux aimé traiter de cette forme de gouvernement, parce qu’elle me semblait la plus naturelle et la plus rapprochée de la liberté que la nature donne à tous les hommes. Car dans cet État personne ne transfère à un autre son droit naturel, de telle sorte qu’il ne puisse plus délibérer à l’avenir ; il ne s’en démet qu’en faveur de la majorité de la société tout entière, dont il est l’une des parties. Par ce moyen, tous demeurent égaux, comme auparavant dans l’état naturel. Ensuite, je n’ai voulu parler spécialement que de cette forme

  1. Voyez les Notes marginales de Spinoza, note 29.