Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/334

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établi contre sa foi et sa superstition, et chacun conséquemment en prendrait prétexte pour tout se permettre. Or une telle licence devant amener la ruine entière du droit public, il s’ensuit que le souverain, à qui seul il appartient, tant au nom du droit divin qu’au nom du droit naturel, de conserver et de protéger les droits de l’État, a aussi le droit absolu de statuer en matière de religion tout ce qu’il juge convenable, et que tout le monde est tenu d’obéir à ses ordres et à ses décrets, d’après la foi qui a été jurée et à laquelle Dieu prescrit de rester inviolablement fidèle. Maintenant, si ceux qui ont en main le souverain pouvoir sont païens, ou bien il ne faut former avec eux aucun contrat, ou bien il faut être décidé à souffrir les dernières extrémités plutôt que de mettre son droit naturel entre leurs mains, ou enfin, si l’on a formé avec eux un contrat, si on leur a transféré son droit, puisqu’on s’est dépouillé du droit de se défendre soi-même et sa religion, on est tenu alors de leur obéir et de leur garder parole ; on peut même y être légitimement contraint, excepté les cas où Dieu, par des révélations certaines, promet un secours particulier contre le tyran et dispense expressément de l’obéissance. Ainsi nous voyons que de tant de Juifs qui étaient à Babylone, trois jeunes gens seulement, qui ne doutaient nullement de l’assistance de Dieu, refusèrent d’obéir à Nabucadnézor ; mais tous les autres, excepté Daniel, que le roi lui-même avait adoré, furent forcés bien légitimement à l’obéissance, et peut-être se disaient-ils qu’ils étaient soumis au roi d’après un ordre divin, et que c’était au nom de Dieu que le roi avait et conservait le souverain pouvoir. Éléazar, au contraire, pendant que sa patrie était encore debout, à quelque triste état qu’elle fût réduite, voulut donner à ses compatriotes un modèle de fermeté, afin qu’à son exemple ils souffrissent tout plutôt que de laisser passer leur droit et leur pouvoir entre les mains des Grecs, et pour qu’ils bravassent tous les tourments plutôt que de prêter serment à des païens.