Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/335

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les principes que nous venons de poser sont confirmés par l’expérience de chaque jour. Ainsi les princes chrétiens n’hésitent pas, dans l’intérêt de la sécurité générale, à faire alliance avec des Turcs et les païens ; ils commandent à leurs sujets qui vont habiter au milieu de ces peuples de ne pas prendre dans leur vie spirituelle ou temporelle plus de liberté que ne leur en donnent les traités ou que n’en permettent les lois du pays. Je citerai, par exemple, le traité des Hollandais avec les Japonais dont il a été déjà question.


CHAPITRE XVII.


QU’IL N’EST POINT NÉCESSAIRE, NI MÊME POSSIBLE, QUE PERSONNE CÈDE ABSOLUMENT TOUS SES DROITS AU SOUVERAIN. — DE LA RÉPUBLIQUE DES HÉBREUX ; CE QU’ELLE FUT DU VIVANT DE MOÏSE ; CE QU’ELLE FUT APRÈS SA MORT, AVANT L’ÉLECTION DES ROIS ; DE SON EXCELLENCE ; ENFIN, DES CAUSES QUI ONT PU AMENER LA RUINE DE CETTE RÉPUBLIQUE DIVINE, ET LA LIVRER, DURANT SON EXISTENCE, À DE PERPÉTUELLES SÉDITIONS.


La théorie qui vient d’être exposée dans le chapitre précédent sur le droit absolu du souverain et sur le renoncement de chaque citoyen à son droit naturel, bien qu’elle s’accorde sensiblement avec la pratique, et que la pratique, habilement dirigée, puisse s’en rapprocher de plus en plus, cette théorie, dis-je, est cependant condamnée à demeurer éternellement, sur bien des points, à l’état de pure spéculation. Qui pourrait jamais, en effet, se dépouiller en faveur d’autrui de la puissance qui lui a été donnée, et par suite des droits qui lui appartiennent, au point de cesser d’être homme ? Et où est le souverain pouvoir qui dispose de toute chose à son gré ? En vain commanderait-on à un sujet de haïr son bienfaiteur, d’aimer son ennemi, d’être insensible à l’injure, de ne point désirer la sécurité de l’âme, toutes choses qui résultent invariablement des lois de la nature humaine. C’est