Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/351

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manifeste pour tout le monde qu’il n’y eût pas d’hésitation possible. D’où il suit clairement que les chefs des Hébreux eurent une grande occasion de moins de commettre des crimes, par cela seul que le droit d’interpréter la loi fut confié aux Lévites (voyez le Deutéronome, chap. XXI, vers. 5), qui ne possédaient dans l’État ni terre ni pouvoir administratif, et dont toute la fortune et toute la gloire consistait dans la vraie interprétation de la loi. Ajoutez à cela que le peuple entier était obligé, chaque septième année, de se rassembler dans un lieu déterminé, où le pontife expliquait et enseignait la loi, et, en outre, que chacun en particulier devait lire et relire sans cesse avec la plus grande attention le livre de la loi tout entier (voyez le Deutéronome, chap. XXXI, vers. 9. etc. ; et chap. VI, vers. 7). Aussi les chefs des Hébreux, dans leur propre intérêt, devaient-ils veiller à ce que toutes choses fussent administrées selon les lois prescrites et connues de tout le monde ; seul moyen pour eux d’être comblés d’honneurs par le peuple, qui respectait alors en eux les ministres du royaume de Dieu et les représentants de Dieu lui-même. De toute autre manière, ils ne pouvaient échapper à la plus terrible de toutes les haines, les haines de religion. En outre, ce qui ne contribua pas peu à mettre un frein aux passions des chefs, c’est que l’armée se composait de tous les citoyens (sans exception d’un seul, depuis la vingtième jusqu’à la soixantième année), et que les chefs ne pouvaient enrôler à prix d’argent aucun soldat étranger ; cela, dis-je, n’était pas de médiocre importance. N’est-ce pas, en effet, une chose évidente que ce n’est qu’avec une armée à leur solde que les chefs peuvent opprimer le peuple, et qu’ils ne redoutent rien tant que la liberté de soldats concitoyens qui ont payé de leur courage, de leurs fatigues, de leur sang prodigué sur les champs de bataille la liberté et la gloire de l’État ? Voilà pourquoi Alexandre, sur le point d’engager un second combat contre Darius, après avoir entendu l’avis de Parménion, ne s’emporta pas contre lui, mais bien contre