Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/354

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mination étrangère. Eux qui avaient remis leurs droits dans les mains de Dieu, qui croyaient que leur royaume était le royaume de Dieu, qu’ils étaient seuls les fils de Dieu, que toutes les autres nations étaient ses ennemies, et qui à ce titre les accablaient de la haine la plus violente (c’était, selon eux, un acte de piété, voyez le psaume CXXXIX, vers. 21, 22), comment n’auraient-ils pas eu par-dessus tout horreur de jurer fidélité et de promettre obéissance à l’étranger ? Pouvaient-ils concevoir un plus honteux forfait, un crime plus exécrable, que de trahir la patrie, royaume du Dieu qu’ils adoraient ? C’était même une chose honteuse pour un citoyen de fixer sa demeure ailleurs que dans sa patrie, parce qu’il n’était permis de satisfaire au culte de Dieu que sur le sol de la patrie, la patrie seule étant une terre sainte, et tout autre pays une terre immonde et profane. Voilà pourquoi David, forcé de s’exiler, se répand en plaintes devant Saül : Si ceux qui excitent ta colère contre moi sont des hommes, ils sont maudits, puisqu’ils me retranchent de la société et de l’héritage de Dieu, et qu’ils me disent : Va et sacrifie aux dieux étrangers (voyez Shamuel, XXVI, vers. 19). Et c’est pour ce motif qu’aucun citoyen, ce qui mérite d’être bien remarqué, ne pouvait être condamné à l’exil. Le coupable en effet mérite le supplice, et non la honte et l’opprobre. L’amour des Hébreux pour la patrie n’était donc pas simplement de l’amour, c’était de la religion. Et cet amour, cette religion, en même temps que leur haine pour les autres nations, étaient tellement encouragés et nourris par le culte de chaque jour qu’ils leur étaient devenus naturels. En effet, non-seulement leur culte de chaque jour était essentiellement différent de tout autre (ce qui les distinguait et les séparait profondément d’avec les autres peuples), mais ces différences allaient jusqu’à l’opposition. Or de cette réprobation dont ils accablaient chaque jour les autres nations dut naître une haine éternelle, fermement enracinée dans tous les esprits, comme peut l’être une haine qui a son origine dans la dévotion et la piété, et qui, étant con-