Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/367

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taient plutôt le peuple qu’ils ne le corrigeaient, et qu’au contraire les rois, qui avaient le pouvoir de châtier, se faisaient obéir docilement. Mais les rois pieux ne purent souvent supporter les prophètes, à cause du droit dont ceux-ci étaient revêtus de prononcer sur la justice et l’injustice de toutes choses, et de châtier même les rois pour les actions publiques ou particulières exécutées contre leur sentiment. Le roi Asa, qui, d’après le témoignage de l’Écriture, fut un roi pieux, fit jeter le prophète Hananias sous la roue d’un moulin (voyez Paralipomènes, liv. II, chap. XII), pour avoir osé lui reprocher ouvertement d’avoir conclu un traité avec le roi d’Arménie. Beaucoup d’autres exemples qu’il serait facile de citer montreraient que la religion reçut plus de dommage que de profit de cette liberté de parole des prophètes, et je pourrais ajouter que l’excès de leurs droits fut l’origine d’un grand nombre de guerres civiles.

III. Il est encore remarquable que pendant tout le temps que le peuple eut le pouvoir entre les mains, il n’y eut qu’une seule guerre civile, et encore cessa-t-elle sans laisser aucune trace, les vainqueurs ayant pris compassion des vaincus, à tel point qu’ils s’efforcèrent de toutes les manières de leur rendre à la fois l’honneur et le pouvoir. Mais lorsque le peuple, qui n’était point habitué aux rois, eut changé la première forme de gouvernement en la forme monarchique, il n’y eut plus de terme aux guerres civiles, et telle fut l’atrocité des combats qu’il n’y a rien de pareil dans les annales de l’histoire. En un seul combat (peut-on le croire ?) cinquante mille Israélites furent massacrés par ceux de Juda. Dans un autre combat, les Israélites, à leur tour, font un grand massacre de ceux de Juda (l’Écriture ne donne point le nombre des morts), s’emparent de la personne du roi, jettent presque par terre les murs de Jérusalem, et sans respect pour le temple lui-même (ce qui montre que leur colère n’eut ni frein ni limites), ils le pillent et le dépouillent ; puis, char-