Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/370

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odieux par cela même au peuple, décriant publiquement leurs opinions et allumant contre eux la colère d’une multitude effrénée. Or comme cette licence religieuse se déguise sous le masque de la religion, elle échappe à tout moyen de répression là surtout où le souverain a introduit quelque secte dont il n’est pas lui-même le chef. Car alors les hommes qui dirigent l’État ne sont plus considérés comme les interprètes du droit divin, mais comme de simples sectaires qui reconnaissent dans les docteurs de la secte les légitimes interprètes de ce droit. Et voilà pourquoi, aux yeux du peuple, l’autorité des magistrats touchant les croyances religieuses est de nulle valeur ; celle des docteurs, au contraire, est toute-puissante, au point que les rois mêmes doivent, selon lui, se soumettre docilement à leurs interprétations. Pour mettre les États à l’abri de tous ces maux, on ne saurait imaginer rien de mieux que de faire consister la piété et le culte tout entier dans les œuvres, à savoir, dans l’exercice de la charité et de la justice, et de laisser libre le jugement de chacun sur tout le reste. Mais nous reviendrons abondamment sur ce sujet.

III. On voit encore combien il importe pour l’État et pour la religion de confier au souverain le droit de décider de la justice et de l’injustice. Car si ce droit de juger la valeur morale des actions n’a pu être confié aux divins prophètes qu’au grand dommage de l’État et de la religion, combien moins devra-t-il l’être à des hommes qui n’ont ni la science qui prévoit l’avenir, ni la puissance qui opère les miracles ! Mais c’est encore un sujet que je me réserve de traiter spécialement.

IV. On voit enfin combien il est funeste à un peuple qui n’a point l’habitude de l’autorité royale et qui est déjà en possession d’une constitution, de se donner un gouvernement monarchique. Car ni le peuple ne pourra supporter un gouvernement si absolu, ni le roi respecter ces lois et ces droits du peuple institués par un pouvoir moins puissant. Encore bien moins se résoudra-t-il à