Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/372

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gouvernement ; mais après que des flots de sang eurent été répandus, on n’eut rien de mieux à faire que de saluer sous un autre nom un nouveau monarque (comme s’il n’eût été question que d’un nom !), qui ne pouvait se maintenir sur le trône qu’en détruisant, jusque dans ses derniers rejetons, la race royale, qu’en massacrant les citoyens amis ou suspects d’être amis du roi, qu’en faisant la guerre pour éviter l’esprit d’opposition que fait naître la paix, afin que le peuple, occupé d’événements nouveaux, oubliât les sanglantes exécutions qui avaient détruit la famille royale. Aussi la nation s’aperçut-elle, mais trop tard, qu’elle n’avait rien fait autre chose pour le salut de la patrie que de violer les droits d’un roi légitime et changer l’état des choses en un état pire. Elle résolut donc de revenir en arrière, et n’eut de repos que lorsque toutes choses eurent été rétablies dans leur état primitif. Mais quelqu’un prétendra peut-être, en objectant l’exemple du peuple romain, que le peuple peut aisément s’affranchir de la tyrannie : je ne vois là, au contraire, qu’une nouvelle confirmation de mon opinion. En effet, bien que le peuple romain ait pu, plus facilement qu’un autre, se débarrasser d’un tyran et changer la forme du gouvernement, parce qu’à lui seul appartenait le droit d’élire le roi et son successeur, et aussi parce qu’étant formé d’hommes enclins à la sédition et adonnés au crime, il n’avait jamais pris l’habitude d’obéir aux rois (sur six n’en avait-il pas égorgé trois ?) ; néanmoins tous ces efforts n’aboutirent jamais qu’à remplacer un tyran unique par plusieurs autres, qui l’occupèrent misérablement à des guerres extérieures et intérieures sans cesse renaissantes, jusqu’à ce qu’enfin l’État tomba de nouveau aux mains d’un monarque, avec un changement de nom pour toute modification, comme en Angleterre. En ce qui concerne les États confédérés de la Hollande, ils n’eurent jamais de rois, que nous sachions, mais des comtes, auxquels ne fut jamais confié le droit souverain. En effet, à voir la toute-puissance des