Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/376

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pitre) en vertu seulement du décret de ceux qui ont le pouvoir en main. Or comme (ainsi que je l’ai montré) le royaume de Dieu consiste simplement dans le droit appliqué à la justice et à la charité, ou à la vraie religion, il s’ensuit, comme nous le prétendions, que le royaume de Dieu ne peut exister parmi les hommes que par le moyen de ceux qui disposent du souverain pouvoir ; peu importe, je le répète, que la religion soit révélée par la simple lumière naturelle, ou par l’intermédiaire des prophètes : la démonstration que nous avons donnée est universelle, attendu que la religion est toujours la même, et toujours également révélée par Dieu, de quelque manière qu’elle vienne à la connaissance des hommes. Voilà pourquoi, pour que la religion révélée par l’intermédiaire des prophètes eût force de droit chez les Hébreux, il fallut d’abord que chacun d’eux se dépouillât de ses droits naturels, et qu’ils s’engageassent tous ensuite d’un commun accord à n’obéir qu’aux lois qui leur seraient révélées au nom de Dieu par l’intermédiaire des prophètes, de la même manière que dans une démocratie, où tous les citoyens, d’un commun accord, prennent la résolution de se gouverner d’après les inspirations de la raison. Il est vrai que les Hébreux transmirent en outre leurs droits à Dieu, mais cet acte fut plutôt mental qu’effectif. En réalité (comme nous l’avons vu) ils conservèrent tous les droits du commandement, jusqu’au moment où ils les remirent à Moïse, qui demeura ainsi roi absolu de la nation, et qui fut exclusivement l’intermédiaire par lequel Dieu régna sur les Hébreux ; et c’est pour cette cause (à savoir que la religion ne peut obtenir force de droit que du droit même de l’État) que Moïse ne put infliger de supplice à ceux qui, avant le pacte divin, par conséquent lorsqu’ils étaient encore en possession de leurs droits naturels, violèrent le sabbat (voyez l’Exode, chap. XV, vers. 30), au lieu qu’il le fit après le pacte divin (voyez les Nombres, chap. XV, vers. 36), lorsque chacun avait renoncé à ses droits naturels et que le sabbat