Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/38

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du suc de mandragore tout prêt, dont il usa quand il sentit approcher la mort ; qu’ayant ensuite tiré les rideaux de son lit, il perdit toute connaissance, étant tombé dans un profond sommeil, et que ce fut ainsi qu’il passa de cette vie à l’éternité ; 5° enfin qu’il avait défendu expressément de laisser entrer qui que ce fût dans sa chambre lorsqu’il approcherait de sa fin ; comme aussi que, se voyant à l’extrémité, il avait fait appeler son hôtesse et l’avait priée d’empêcher qu’aucun ministre ne le vint voir, parce qu’il voulait, disait-il, mourir paisiblement et sans dispute, etc.

J’ai recherché soigneusement la vérité de tous ces faits, et demandé plusieurs fois à son hôte et à son hôtesse, qui vivent encore à présent, ce qu’ils en savaient ; mais ils m’ont répondu constamment l’un et l’autre qu’ils n’en avaient pas la moindre connaissance, et qu’ils étaient persuadés que toutes ces particularités étaient autant de mensonges, car jamais il ne leur a défendu d’admettre qui que ce fût qui souhaitât de le voir. D’ailleurs, lorsque la fin approcha, il n’y avait dans sa chambre que le seul médecin d’Amsterdam que j’ai désigné ; personne n’a ouï les paroles qu’on prétend qu’il a proférées : Ô Dieu, aie pitié de moi misérable pécheur ! et il n’y a pas d’apparence non plus qu’elles soient sorties de sa bouche, puisqu’il ne croyait pas être si près de sa fin, et ceux du logis n’en avaient pas la moindre pensée. Et il ne gardait point le lit pendant sa maladie ; car, le matin même du jour qu’il expira, il était encore descendu de sa chambre en bas comme nous l’avons remarqué ; sa chambre était celle de devant où il couchait dans un lit construit à la mode du pays, et qu’on appelle bedstede. Qu’il ait chargé son hôtesse de renvoyer les ministres qui pourraient se présenter, ou qu’il ait invoqué le nom de Dieu pendant sa maladie, c’est ce que ni elle, ni ceux du logis n’ont point ouï, et dont ils n’ont nulle connaissance. Ce qui leur persuade le contraire, c’est que depuis qu’il était tombé en langueur il avait toujours marqué, dans les maux qu’il souffrait, une fermeté vraiment stoïque, jusqu’à réprimander les autres lui-même, lorsqu’il leur arrivait de se plaindre et de témoigner dans leurs maladies peu de courage ou trop de sensibilité.

Enfin, à l’égard du suc de mandragore, dont on dit qu’il usa étant à l’extrémité, ce qui lui fit perdre toute connaissance, c’est encore une particularité entièrement inconnue à ceux du logis. Et cependant c’était eux qui lui préparaient tout ce dont il avait