Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/393

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voté pour ? Mais je reviens à ma proposition. Que chacun puisse user raisonnablement de son libre jugement sur toutes choses sans blesser les droits du souverain, c’est ce qui ressort de l’examen des fondements de l’État. Or ce même examen nous permet de déterminer facilement quelles sortes d’opinions sont séditieuses dans l’État : ce sont celles qui, en s’énonçant, détruisent le pacte par lequel chaque citoyen a abandonné le droit d’agir selon sa seule volonté. Par exemple, quelqu’un pense-t-il que le pouvoir du souverain n’est pas fondé en droit, ou que personne n’est obligé de tenir ses promesses, ou que chacun doit vivre selon sa seule volonté, et autres choses du même genre qui sont en contradiction flagrante avec le pacte dont nous parlions tout à l’heure, celui-là est un citoyen séditieux, non pas tant à cause de son opinion, qu’à cause de l’acte enveloppé dans de tels jugements. Par là en effet, par cette manière de voir, ne rompt-il pas la foi donnée, tacitement ou expressément, au souverain pouvoir ? Mais quant aux autres opinions qui n’enveloppent pas quelque acte en elles-mêmes, qui ne poussent pas à la rupture du pacte social, à la vengeance, à la colère, etc., elles ne sont pas séditieuses, si ce n’est pourtant dans un État corrompu, où des hommes séditieux et ambitieux, ennemis de la liberté, se sont fait une renommée telle que leur autorité prévaut dans l’esprit du peuple sur celle du souverain. Nous ne nions cependant pas qu’il n’y ait encore quelques opinions qui, tout en ne concernant que le vrai et le faux, sont émises et divulguées avec des intentions malveillantes et injustes. Quelles sont-elles ? c’est ce que nous avons déterminé au chapitre XV, sans porter aucune atteinte à la liberté de la raison. Que si nous remarquons enfin que la fidélité de chaque citoyen à l’égard de l’État, comme à l’égard de Dieu, ne se juge que par les œuvres, à savoir, par la charité pour le prochain, nous ne douterons plus qu’un État excellent n’accorde à chacun autant de liberté pour philosopher que la foi, nous l’avons