Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/397

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

saurait apprendre à ce spectacle qu’une chose, à imiter ces nobles martyrs, ou, si l’on craint la mort, à se faire le lâche flatteur du pouvoir.

Veut-on obtenir des citoyens, non une obéissance forcée, mais une fidélité sincère, veut-on que le souverain conserve l’autorité d’une main ferme et ne soit pas obligé de fléchir sous les efforts des séditieux, il faut de toute nécessité permettre la liberté de la pensée, et gouverner les hommes de telle façon que, tout en étant ouvertement divisés de sentiments, ils vivent cependant dans une concorde parfaite. On ne saurait douter que ce mode de gouvernement ne soit excellent et n’ait que de légers inconvénients, attendu qu’il est parfaitement approprié à la nature humaine. N’avons-nous pas montré que dans le gouvernement démocratique (le plus voisin de l’état naturel) tous les citoyens s’obligent par un pacte à conformer à la volonté commune leurs actions, mais non pas leurs jugements et leurs pensées, c’est-à-dire que tous les hommes, ne pouvant pas avoir sur les mêmes choses les mêmes sentiments, ont établi que force de loi serait acquise à toute mesure qui aurait pour elle la majorité des suffrages, en se conservant cependant le pouvoir de remplacer cette mesure par une meilleure, s’il s’en trouvait ? Moins donc on accorde aux hommes la liberté de la pensée, plus on s’écarte de l’état qui leur est le plus naturel, et plus par conséquent le gouvernement devient violent. Faut-il prouver que cette liberté de penser ne donne lieu à aucun inconvénient que l’autorité du souverain pouvoir ne puisse facilement éviter, et qu’elle suffit à retenir des hommes ouvertement divisés de sentiments dans un respect réciproque de leurs droits, les exemples abondent, et il ne faut pas aller les chercher bien loin : citons la ville d’Amsterdam, dont l’accroissement considérable, objet d’admiration pour les autres nations, n’est que le fruit de cette liberté. Au sein de cette florissante république, de cette ville éminente, tous les hommes, de