Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/398

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toute nation et de toute secte, vivent entre eux dans la concorde la plus parfaite ; et pour confier ou non leur bien à quelque citoyen, ils ne s’informent que d’une chose : est-il riche ou pauvre, fourbe ou de bonne foi ? Quant aux différentes religions et aux différentes sectes, que leur importe ? Et de même devant les tribunaux, le juge ne tient aucun compte des croyances religieuses pour l’acquittement ou la condamnation d’un accusé, et il n’est point de secte si odieuse dont les adeptes (pourvu qu’ils ne blessent le droit de personne, rendent à chacun ce qui lui est dû, et vivent selon les lois de l’honnêteté) ne trouvent publiquement aide et protection devant les magistrats. Au contraire, lorsque autrefois la querelle religieuse des Remontrants et des Contreremontrants commença à pénétrer dans l’ordre politique et à agiter les États, on vit la religion déchirée par les schismes, et mille exemples prouvèrent sans réplique que les lois qui concernent la religion et qui ont pour but de couper court aux controverses, ne font qu’irriter la colère des hommes au lieu de les corriger, qu’elles sont pour beaucoup l’occasion d’une licence sans limite, qu’en outre les schismes n’ont pas pour origine l’amour de la vérité (lequel est au contraire une source de douceur et de mansuétude), mais un violent désir de domination : ce qui prouve plus clair que le jour que les vrais schismatiques sont bien plutôt ceux qui condamnent les écrits des autres et animent séditieusement contre les écrivains la foule effrénée, que les écrivains eux-mêmes, qui, la plupart du temps, ne s’adressent qu’aux doctes et n’appellent à leur secours que la seule raison ; de plus, que ceux-là sont de vrais perturbateurs de l’ordre public qui, dans un État libre, veulent détruire cette liberté de la pensée que rien ne saurait étouffer.

Ainsi nous avons montré : 1° qu’il est impossible de ravir aux hommes la liberté de dire ce qu’ils pensent ; 2° que, sans porter atteinte au droit et à l’autorité des souverains, cette liberté peut être accordée à chaque ci-