Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/426

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soutenant que la cause de cette impuissance de l’homme, c’est un vice ou un péché de la nature humaine, lequel a son origine dans la chute de notre premier père. Car supposez que le premier homme ait eu également le pouvoir de se maintenir ou de tomber, donnez-lui une âme maîtresse d’elle-même et dans un état parfait d’intégrité, comment se fait-il qu’étant plein de science et de prudence il soit tombé ? c’est, direz-vous, qu’il a été trompé par le diable. Mais le diable lui-même, qui donc l’a trompé ? qui a fait de lui, c’est-à-dire de la première de toutes les créatures intelligentes, un être assez insensé pour vouloir s’élever au-dessus de Dieu ? En possession d’une âme saine, ne faisait-il pas naturellement effort, autant qu’il était en lui, pour maintenir son état et conserver son être ? Et puis le premier homme lui-même, comment se fait-il qu’étant maître de son âme et de sa volonté il ait été séduit et se soit laissé prendre dans le fond même de son âme ? S’il a eu le pouvoir de bien user de sa raison, il n’a pu être trompé, il a fait nécessairement effort, autant qu’il était en lui, pour conserver son être et maintenir son âme saine. Or, vous supposez qu’il a eu ce pouvoir ; il a donc nécessairement conservé son âme saine et n’a pu être trompé, ce qui est démenti par sa propre histoire. Donc il faut avouer qu’il n’a pas été au pouvoir du premier homme d’user de la droite raison, et qu’il a été, comme nous, sujet aux passions.

7. Que l’homme, ainsi que tous les autres individus de la nature, fasse effort autant qu’il est en lui pour conserver son être, c’est ce que personne ne peut nier. S’il y avait ici, en effet, quelque différence entre les êtres, elle ne pourrait venir que d’une cause, c’est que l’homme aurait une volonté libre. Or, plus vous concevrez l’homme comme libre, plus vous serez forcé de reconnaître qu’il doit nécessairement se conserver et être maître de son âme, conséquence que chacun m’accordera aisément, pourvu qu’il ne confonde pas la liberté avec la contin-