Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/43

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fort satisfait de ses réponses, se contentant de les écrire, pour s’en servir en temps et lieu.

Comme il ne lisait que la Bible, il se rendit bientôt capable de n’avoir plus besoin d’interprète. Il y faisait des réflexions si justes que les rabbins n’y répondaient qu’à la manière des ignorants, qui, voyant leurs raisons à bout, accusent ceux qui les pressent trop d’avoir des opinions peu conformes à la religion.

Un si bizarre procédé lui fit comprendre qu’il était inutile de s’informer de la vérité ; le peuple ne la connaît pas ; d’ailleurs en croire aveuglément les livres authentiques, c’est, disait-il, trop aimer les vieilles erreurs. Il se résolut donc de ne plus consulter que lui-même, mais de n’épargner aucun soin pour en faire la découverte.

Il fallait avoir l’esprit grand et d’une force extraordinaire pour concevoir au-dessous de vingt ans un dessein de cette importance. En effet il fit bientôt voir qu’il n’avait rien entrepris témérairement ; car, commençant tout de nouveau à lire l’Écriture, il en perça l’obscurité, en développa les mystères, et se fit jour au travers des nuages derrière lesquels on lui avait dit que la vérité était cachée.

Après l’examen de la Bible, il lut et relut le Talmud avec la même exactitude ; et comme il n’y avait personne qui l’égalât dans l’intelligence de l’hébreu, il n’y trouvait rien de difficile, ni rien aussi qui le satisfît ; mais il était si judicieux qu’il voulut laisser mûrir ses pensées avant que de les approuver.

Cependant Morteira, homme célèbre parmi les juifs et le moins ignorant de tous les rabbins de son temps, admirait la conduite et le génie de son disciple. Il ne pouvait comprendre qu’un jeune homme fût si modeste avec tant de pénétration. Pour le connaître à fond, il l’éprouva en toute manière, et avoua depuis que jamais il n’avait rien trouvé à redire, tant en ses mœurs qu’en la beauté de son esprit.

L’approbation de Morteira, augmentant la bonne opinion qu’on avait de son disciple, ne lui donnait point de vanité. Tout jeune qu’il était, par une prudence avancée, il faisait peu de fond sur l’amitié et sur les louanges des hommes. D’ailleurs, l’amour de la vérité était si fort sa passion dominante, qu’il ne voyait presque personne. Mais quelque précaution qu’il prît pour se dérober aux autres, il y a des rencontres où l’on ne peut honnêtement les éviter, quoiqu’elles soient souvent très-dangereuses.

Entre les plus ardents et les plus pressés à lier commerce avec lui, de jeunes hommes, qui se disaient être ses amis les plus intimes, le conjurèrent de leur dire ses véritables sentiments. Ils lui représentèrent que, quels qu’ils fussent, il n’avait rien à appréhender de leur part, leur curiosité n’ayant pas d’autre but que celui de s’éclaircir de leurs doutes. Le jeune disciple, étonné d’un discours si peu attendu, fut quelque temps sans leur répondre ; mais à la fin se voyant pressé par leur importunité, il leur dit en riant, “ qu’ils avaient Moïse et les prophètes qui étaient vrais Israélites, et qu’ils avaient décidé de tout ; qu’ils les suivissent sans scrupule, s’ils étaient vrais Israélites. ” À les en croire, repartit un de ces jeunes hommes, je ne vois point qu’il y ait d’Être Immatériel, que Dieu n’ait point de corps, ni que l’âme soit