Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/439

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détruisent pas la religion qui nous oblige par rapport à Dieu ? A quoi je réponds que si nous pesons bien la chose, tout scrupule disparaîtra. En effet, l’âme, en tant qu’elle use de la raison, n’appartient pas aux pouvoirs souverains, mais elle s’appartient à elle-même (par l’article 11 du chapitre précédent). Par conséquent, la vraie connaissance et l’amour de Dieu ne peuvent être sous l’empire de qui que ce soit, pas plus que la charité envers le prochain (par l’article 8 du même chapitre) ; et si nous considérons, en outre, que le véritable ouvrage de la charité, c’est de procurer le maintien de la paix et l’établissement de la concorde, nous ne douterons pas que celui-là n’accomplisse véritablement son devoir qui porte secours à chacun dans la mesure compatible avec les droits de l’État, c’est-à-dire avec la concorde et la tranquillité. Pour ce qui est des cultes extérieurs, il est certain qu’ils ne peuvent être ni un secours, ni un obstacle à la vraie connaissance de Dieu et à l’amour qui en résulte nécessairement ; d’où il suit qu’il ne faut pas y attacher assez d’importance pour compromettre à cause d’eux la paix et la tranquillité publiques. Il est certain, du reste, que moi, simple particulier, je ne suis pas, en vertu du droit naturel, c’est-à-dire (par l’article 3 du chapitre précédent) en vertu du décret divin, je ne suis pas, dis-je, le défenseur de la religion ; car je n’ai point, comme l’avaient autrefois les disciples du Christ, le pouvoir de chasser les esprits immondes et de faire des miracles ; or ce pouvoir est tellement nécessaire pour propager la religion aux lieux où elle est interdite, que sans lui non-seulement l’huile et la peine, comme on dit, sont perdues, mais encore on s’expose à être molesté de mille façons, ce dont tous les siècles ont vu les exemples les plus funestes. Tout homme donc, en quelque lieu qu’il soit, peut s’acquitter envers Dieu des obligations de la religion vraie et veiller à faire son propre salut, ce qui est le devoir d’un particulier. Quant au soin de propager la religion, cela regarde Dieu lui-même ou les pouvoirs souverains, seuls chargés des