Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/44

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Immortelle, ni que les anges soient une substance réelle ; que vous en semble ? continua-t-il, en s’adressant à notre disciple. Dieu a-t-il un corps ? y a-t-il des anges ? l’âme est-elle immortelle ? J’avoue, dit le disciple, que, ne trouvant rien d’immatériel ou d’incorporel dans la Bible, il n’y a nul inconvénient de croire que Dieu soit un corps, et d’autant plus que Dieu étant grand, ainsi que parle le roi-prophète [1], il est impossible de comprendre une grandeur sans étendue, et qui, par conséquent, ne soit pas un corps. Pour les esprits, il est certain que l’Écriture ne dit point que ce soient des substances réelles et permanentes, mais de simples fantômes nommés anges, parce que Dieu s’en sert pour déclarer sa volonté. De telle sorte que les anges et toute autre espèce d’esprits ne sont invisibles qu’à raison de leur matière très-subtile et diaphane, qui ne peut être vue que comme on voit les fantômes dans un miroir, en songe, ou dans la nuit. De même que Jacob vit, en dormant, des anges monter sur une échelle et en descendre. C’est pourquoi nous ne lisons point que les Juifs aient excommunié les saducéens, pour n’avoir pas cru d’anges, à cause que l’Ancien Testament ne dit rien de leur création. Pour ce qui est de l’âme, partout où l’Écriture en parle, ce mot d’âme se prend simplement pour exprimer la vie, ou pour tout ce qui est vivant. Il serait inutile d’y chercher de quoi appuyer son immortalité. Pour le contraire, il est visible en cent endroits, et il n’est rien de plus aisé que de le prouver ; mais ce n’est ici ni le temps ni le lieu d’en parler. - Le peu que vous en dites, répliqua un des deux amis, convaincrait les plus incrédules ; mais ce n’est pas assez pour satisfaire vos amis, à qui il faut quelque chose de plus solide, joint que la matière est importante pour n’être qu’effleurée. Nous ne vous en quittons à présent qu’à condition de la reprendre une autre fois.

Le disciple, qui ne cherchait qu’à rompre la conversation, leur promit tout ce qu’ils voulurent. Mais, dans la suite, il évita soigneusement toutes les occasions où il s’apercevait qu’ils tâchaient de la remuer ; et se ressouvenant que rarement la curiosité de l’homme a bonne intention, il étudia la conduite de ses amis, où il trouva tant à redire qu’il rompit avec eux, et ne voulut plus leur parler.

Ses amis, s’étant aperçus du dessein qu’il avait formé, se contentèrent d’en murmurer entre eux, pendant qu’ils crurent que ce n’était que pour les éprouver ; mais quand ils se virent hors d’espérance de le pouvoir fléchir, ils jurèrent de s’en venger ; et pour le faire plus sûrement, ils commencèrent par le décrier dans l’esprit du peuple. Ils publièrent que c’était un abus de croire que ce jeune homme pût devenir un jour un des piliers de la synagogue, qu’il y avait plus d’apparence qu’il en serait le destructeur, n’ayant que haine et que mépris pour la loi de Moïse, qu’ils l’avaient fréquenté sur le témoignage de Morteira, mais qu’enfin ils avaient reconnu dans sa conversation que c’était un impie, que le rabbin, tout habile qu’il était, avait tort et se trompait lourdement s’il en avait une si bonne idée, et qu’enfin son abord leur faisait horreur.

  1. Psaumes, 98, 1.