Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/531

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bien ordonné qu’il soit, si parfaites que soient ses lois, dans les crises extrêmes, lorsque tous les citoyens sont saisis d’une sorte de terreur panique, on les voit tous se ranger au seul avis que leur inspire l’épouvante du moment, sans s’inquiéter ni de l’avenir, ni de lois, tourner leurs regards vers un homme illustré par ses victoires, l’affranchir seul de toutes les lois, lui continuer son commandement (ce qui est du plus dangereux exemple), et lui confier enfin l’État tout entier. Ce fut là certainement la cause de la ruine de l’empire romain. – Pour répondre à cette objection, je dis premièrement que dans une république bien constituée une telle terreur ne peut pas naître à moins de cause légitime ; et par conséquent cette terreur, et la confusion qui en est la suite, ne peuvent être attribuées à aucune cause que la prudence humaine fut capable d’éviter. En second lieu, il faut remarquer que dans une république telle que je l’ai précédemment décrite, il n’est possible (par les articles 9 et 25 du chapitre VIII) à aucun citoyen d’obtenir sur les autres une supériorité de mérite capable d’attirer sur lui tous les regards : il aura nécessairement plus d’un émule qui obtiendra sa part de faveur. Ainsi donc, bien que la terreur puisse amener dans la république une certaine confusion, nul ne pourra violer la loi, ni appeler, malgré la constitution, quelque citoyen à un commandement militaire, sans qu’aussitôt s’élèvent les réclamations d’autres prétendants ; et cette lutte ne pourra se terminer que par un recours aux lois et par le rétablissement de l’ordre régulier de l’État. Je puis donc affirmer d’une manière absolue que le gouvernement aristocratique, non pas seulement celui d’une seule ville, mais aussi celui de plusieurs villes ensemble, est un gouvernement éternel, c’est-à-dire qu’il ne peut être ni dissous ni transformé par aucune cause qui tienne à sa constitution intérieure.