Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/142

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Le jardin et son puits que festonne une vigne,
Où, des choux à propos interrompant la ligne,
Se pavane un rosier que votre main sema;
Asile calme et vert comme en peint Hobbéma.
Où les chuchotements dont est fait le silence
Troublent seuls du rêveur la douce somnolence!
Non pas même cela: mais la ville aux cent bruits
Où, de brouillards noyés, les jours semblent des nuits,
Où parmi les toits bleus s’enchevêtre et se cogne
Un soleil terne et mort comme l’œil d’un ivrogne,
Des tuyaux hérissant le faîte des maisons
Que bat la pluie à flots dans toutes les saisons,
Une fumée ardente et de couleur de rouille
Traînant ses longs anneaux sur le ciel qu’elle souille,
Les murs repeints à neuf, ou noircis par le temps,
Jaunes, rouges et verts, semblables aux tartans
Des montagnards d’Ecosse, et les vieilles églises
Au sein de la vapeur dressant leurs flèches grises,
Et leurs longs arcs-boutants inclinés de façon
Qu’on croirait, à les voir, des côtes de poisson;
Puis le peuple grouillant, qui se heurte et se rue,
Fashionables musqués, gueux à mine incongrue,
Grisettes au pied leste, au sourire agaçant,
Beaux tilburys dorés comme l’éclair passant,
Charrettes, tombereaux, ouvrant avec leurs roues,
Comme des nefs dans l’onde, un sillon dans les boues;
— De l’or et de la fange. — Incroyable chaos,
Babel des nations, mer qui bout sans repos,
Chaudière de damnés, cuve immense où fermente,
Vendange de la mort, une foule écumante,
Haillons troués à jour comme un crible, où le vent
Glisse, apportant la fièvre et le trépas souvent,
Brocards d’or et d’argent raides de pierreries,
Des yeux cernés et bleus, des figures flétries,