Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/182

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LIV
Tout en la rassurant, d’une main aguerrie
Je saisissais le monstre, et de sa peur guérie
Elle recommençait à rire, et s’asseyait
Sur un de mes genoux se moquant d’elle-même,
Et m’embrassait disant : — mon dieu, comme je l’aime !
Puis le baiser rendu, rêveuse, elle appuyait
Sa tête à mon épaule, et fermait sa paupière
Comme pour s’endormir. — Un long jet de lumière,
Traversant les rameaux, dorait son front charmant ;
— Le rossignol chantait et perlait ses roulades,
Un vent tout parfumé, sous les vertes arcades
Soupirait langoureusement.


LV
Nous ne nous disions rien, et nous avions l’air triste,
Et pourtant, ô mon dieu ! Si le bonheur existe
Quelque part ici-bas, nous étions bien heureux.
— Qu’eût servi de parler ? — Sur nos lèvres pressées
Nous arrêtions les mots, nous savions les pensées ;
Nous n’avions qu’un esprit, qu’une seule âme à deux.
— Comme emparadisés dans les bras l’un de l’autre,
Nous ne concevions pas d’autre ciel que le nôtre.
Nos artères, nos cœurs vibraient à l’unisson ;
Dans les ravissements d’une extase profonde,
Nous avions oublié l’existence du monde,
Nos yeux étaient notre horizon.