Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/227

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


C’est une belle chose et digne qu’on l’envie
Que de trouver son rêve au milieu du chemin,
Et d’avoir devant soi le désir de sa vie.

Quel plaisir quand on voit briller le lendemain
Le baiser du soleil aux frêles colonnades
Du palais que la nuit éleva de sa main !

Il est beau qu’un plongeur, comme dans les ballades,
Descende au gouffre amer chercher la coupe d’or
Et perce, triomphant, les vitreuses arcades.

Il est beau d’arriver où tendait votre essor,
De trouver sa beauté, d’aborder à son monde,
Et, quand on a fouillé, d’exhumer un trésor ;

De faire, du plus creux de son âme profonde,
Rayonner son idée ou bien sa passion ;
D’être l’oiseau qui chante et la foudre qui gronde ;

D’unir heureusement le rêve à l’action,
D’aimer et d’être aimé, de gagner quand on joue,
Et de donner un trône à son ambition ;

D’arrêter, quand on veut, la Fortune et sa roue,
Et de sentir, la nuit, quelque baiser royal
Se suspendre en tremblant aux fleurs de votre joue.

Ceux-là sont peu nombreux dans notre âge fatal.
Polycrate aujourd’hui pourrait garder sa bague :
Nul bonheur insolent n’ose appeler le mal.

L’eau s’avance et nous gagne, et pas à pas la vague,
Montant les escaliers qui mènent à nos tours,
Mêle aux chants du festin son chant confus et vague.