Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/228

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Les phoques monstrueux, traînant leurs ventres lourds,
Viennent jusqu’à la table, et leurs larges mâchoires
S’ouvrent avec des cris et des grognements sourds.

Sur les autels déserts des basiliques noires,
Les saints, désespérés et reniant leur Dieu,
S’arrachent à pleins poings l’or chevelu des gloires.

Le soleil désolé, penchant son œil de feu,
Pleure sur l’univers une larme sanglante ;
L’ange dit à la terre un éternel adieu.

Rien ne sera sauvé, ni l’homme ni la plante ;
L’eau recouvrira tout : la montagne et la tour ;
Car la vengeance vient, quoique boiteuse et lente.

Les plumes s’useront aux ailes du vautour,
Sans qu’il trouve une place où rebâtir son aire,
Et du monde vingt fois il refera le tour ;

Puis il retombera dans cette eau solitaire
Où le rond de sa chute ira s’élargissant :
Alors tout sera dit pour cette pauvre terre.

Rien ne sera sauvé, pas même l’innocent.
Ce sera, cette fois, un déluge sans arche ;
Les eaux seront les pleurs des hommes et leur sang.

Plus de mont Ararat où se pose, en sa marche,
Le vaisseau d’avenir qui cache en ses flancs creux
Les trois nouveaux Adams et le grand patriarche !

Entendez-vous là-haut ces craquements affreux ?
Le vieil Atlas, lassé, retire son épaule
Au lourd entablement de ce ciel ténébreux.