Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/249

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C’étaient des ouvriers qui faisaient leur ouvrage,
Du matin jusqu’au soir, avec force et courage ;
C’étaient des gens pieux et pleins d’austérité,
Sachant bien qu’ici-bas tout n’est que vanité ;
Leur atelier à tous était le cimetière,
Ils peignaient, près des morts passant leur vie entière.
Puis, quand leurs doigts raidis laissaient choir les pinceaux,
On leur dressait un lit sous les sombres arceaux.
Ils dormaient là, couchés auprès de leur peinture,
Les mains jointes, tout droits, dans la même posture
De contemplation extatique où sont peints,
Sur les fresques du mur, leurs anges et leurs saints.
Ceux-là ne faisaient pas de l’art une débauche,
Et leur œuvre toujours, quoique barbare et gauche,
Même à nos yeux savants reluit d’une beauté
Toute jeune de charme et de naïveté.
Sur tous ces fronts pâlis, sous cet air de souffrance
Brille ineffablement quelque haute espérance ;
L’on voit que tout ce peuple agenouillé n’attend
Pour revoler aux cieux que le suprême instant.
Dans ces tableaux, partout l’âme glorifiée
Foule d’un pied vainqueur la chair mortifiée ;
L’ombre remplit le bas, le haut rayonne seul,
Et chaque draperie a l’aspect d’un linceul.
C’est que la vie alors de croyance était pleine,
C’est qu’on sentait passer dans l’air du soir l’haleine
De quelque ange attardé s’en retournant au ciel ;
C’est que le sang du Christ teignait vraiment l’autel ;
C’est qu’on était au temps de saint François d’Assise,
Et que sur chaque roche une cellule assise
Cachait un fou sublime, insensé de la Croix ;
Le désert se peuplait de lueurs et de voix ;
Dans toute obscurité rayonnait un mystère,
On aimait, et le ciel descendait sur la terre.