Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/276

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À cheval sur l’éclair, les milices de Dieu.
La première et sans peur tu mis la main sur l’arche,
Et tes enfants perdus allèrent droit leur marche,
Sans savoir si le sol tout d’un coup sur leurs pas
En entonnoir d’enfer ne se creuserait pas.
Tu fus la poésie et l’idéal du crime ;
Tu détrônais Jésus de son gibet sublime,
Comme Louis Capet de son fauteuil de roi ;
La vieille monarchie avec la vieille foi
Râlait entre tes bras, toute bleue et livide,
Comme autrefois Antée aux bras du grand Alcide.
Et le Christ et le roi, sous tes puissants efforts,
Du trône et de l’autel tous deux sont tombés morts.
Au seul bruit de tes pas les noires basiliques
Tremblottaient de frayeur sous leurs chapes gothiques,
Leurs genoux de granit sous elles se ployaient ;
Les tarasques sifflaient, les guivres aboyaient,
Le dragon se tordant au bout de la gouttière
Tâchait de dégager ses ailerons de pierre ;
Les anges et les saints pleuraient dans les vitreaux ;
Les morts, se retournant au fond de leurs tombeaux,
Demandaient : « Qu’est-ce donc ? » à leurs voisins plus blêmes,
Et les cloches des tours se brisaient d’elles-mêmes.
Quand tu manquais de rois à jeter à tes chiens,
Tu forçais Saint-Denis à te rendre les siens ;
Tu descendais sans peur sous les funèbres porches :
Les spectres, éblouis aux lueurs de tes torches,
Fuyaient échevelés en poussant des clameurs ;
Troublés dans leur sommeil, tous ces pâles dormeurs,
Rêvant d’éternité, pensaient l’heure venue
Où le Christ doit juger les hommes sur sa nue ;
Et quand tu soulevais de ton doigt curieux
Leur paupière embaumée, afin de voir leurs yeux,
Certes, ils pouvaient croire, à ton rire sauvage,