Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/280

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Dans la suave odeur qu’envoie au ciel, le soir,
La fleur de la vallée avec son encensoir ?
Qui douterait de Dieu devant de belles femmes ?
Ah ! veillons sur nos cœurs et fermons bien nos âmes,
Laissons tourner le monde et les choses aller ;
Sans que nous la poussions, la terre peut rouler,
Et nous pouvons fort bien retirer notre épaule,
Sans faire choir le ciel et déranger le pôle.
Se croire le pivot de la création
Est une erreur commune à toute ambition ;
L’on est persuadé qu’on est indispensable,
Et l’on ne pèse pas le poids d’un grain de sable
Aux balances d’airain des grands événements.
L’on tombe chaque jour en des étonnements
À voir quel peu d’écume au torrent de l’abîme
Fait un homme jeté de la plus haute cime,
Et comme en peu de temps, pour grand qu’il ait passé,
Par le premier qui vient on le voit remplacé.
Nos agitations ne laissent pas de trace :
C’est la bulle sur l’eau qui crève et qui s’efface.
En vain l’on se raidit. Toujours, d’un flot égal,
Le fleuve à travers tout court au gouffre fatal,
Et dans l’éternité mystérieuse et noire
Entraîne ce gravier que l’on nomme l’histoire.
Quand votre nom serait creusé dans le rocher,
L’intarissable flot qui semble le lécher,
Ainsi qu’un chien soumis qui veut flatter son maître,
De sa langue d’azur le fera disparaître,
Et, si profondément qu’ait fouillé le ciseau,
Le rocher à coup sûr durera moins que l’eau.
Et vous, mon jeune ami, tête sereine et blonde,
À la fleur de vos ans, pourquoi tenter une onde
Qui jamais n’a rendu le vaisseau confié ?
Où retrouverez-vous le temps sacrifié,