Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/281

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Et ce qu’a de votre âme emporté sur son aile
Des révolutions la tempête éternelle ?
Pourquoi, tout en sueur, sous le soleil de plomb,
Le siroco soufflant, suivre un chemin si long
Et traverser à pied ce grand désert de prose,
Quand le ciel est d’un bleu d’outremer, quand la rose
Offre candidement sa bouche à vos baisers,
À l’âge où les bonheurs sont tellement aisés
Que c’en est un déjà d’être au monde et de vivre ?
De ses parfums ambrés le printemps vous enivre,
La fleur aux doux yeux bleus vous lorgne avec amour,
Les oiseaux de leurs nids vous donnent le bonjour,
Et la fée amoureuse, afin de vous séduire,
Se baigne devant vous dans la source, et fait luire
À travers les roseaux, sous le flot argentin,
Son épaule de nacre et son dos de satin.
Mais, sourd à tout cela comme un anachorète,
Vous foulez sans pitié la pauvre violette ;
La fée en soupirant rattache ses cheveux,
Rouge d’avoir pour rien fait les premiers aveux,
Et reprend tristement ses habits sur les branches.
Si vous aviez voulu, quatre licornes blanches
Au pays d’Avalun vous auraient emporté ;
Dans les tourelles d’or d’un palais enchanté
Vous auriez pu passer votre vie en doux rêves :
Mais non ; sur les cailloux, sur le sable des grèves,
Sur les éclats de verre et les tessons cassés,
À travers les débris des trônes renversés,
Vous avez préféré, faussant votre nature,
Pieds nus et dans la nuit, marcher à l’aventure ;
Vous avez oublié les sentiers d’autrefois,
Et vous ne suivez plus la rêverie au bois :
Tout ce qui vous charmait vous semble choses vaines ;
Vous fermez votre oreille au babil des fontaines,