Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/310

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La pluie a ruisselé sur vos vitres jaunies,
Et, triste entre vos sœurs au foyer réunies,
En entendant pleurer les bûches dans le feu,
Vous avez regretté l’Amérique au ciel bleu,
Et la mer amoureuse avec ses tièdes lames
Qui se brodent d’argent et chantent sous les rames ;
Les beaux lataniers verts, les palmiers chevelus,
Les mangliers traînant leurs bras irrésolus ;
Toute cette nature orientale et chaude,
Où chaque herbe flamboie et semble une émeraude ;
Et vous avez souffert, votre cœur a saigné,
Vos yeux se sont levés vers ce ciel gris baigné
D’une vapeur étrange et d’un brouillard de houille,
Vers ces arbres chargés d’un feuillage de rouille ;
Et vous avez compris, pâle fleur du désert,
Que loin du sol natal votre arôme se perd,
Qu’il vous faut le soleil et la blanche rosée
Dont vous étiez là-bas toute jeune arrosée ;
Les baisers parfumés des brises de la mer,
La place libre au ciel, l’espace et le grand air ;
Et, pour s’y renouer, l’hymne saint des poètes
Au fond de vous trouva des fibres toutes prêtes ;
Au chœur mélodieux votre voix put s’unir ;
Le prisme du regret dorant le souvenir
De cent petits détails, de mille circonstances,
Les vers naissaient en foule et se groupaient par stances.
Chaque larme furtive échappée à vos yeux
Se condensait en perle, en joyau précieux ;
Dans le rhythme profond votre jeune pensée
Brillait plus savamment, chaque jour enchâssée ;
Vous avez pénétré les mystères de l’art.
Aussi, tout éplorée, avant votre départ,
Pour vous baiser au front, la belle poésie
Vous a parmi vos sœurs avec amour choisie ;