Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 1.djvu/366

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Pour recevoir le corps, mort ou vivant, qui tombe,
Le grand fleuve a toujours toute prête une tombe ;
Il le berce un moment, et puis il l’engloutit ;
Les flots, toujours béants, de leurs gueules voraces
Dévorent cavaliers, chevaux, casques, cuirasses,
Tout ce que le combat jette à leur appétit.

Ici c’est un cheval qui s’effare et se cabre,
Et se fait, dans sa chute, une blessure au sabre
Qu’un mourant tient encor dans son poing fracassé ;
Plus loin, c’est un carquois plein de flèches, qui verse
Ses dards en pluie aiguë, et dont chaque trait perce
Un cadavre déjà de cent coups traversé.

C’est un rude combat ! chevelures, crinières,
Panaches et cimiers, enseignes et bannières,
Au souffle des clairons volent échevelés ;
Les lances, ces épis de la moisson sanglante,
S’inclinent à leur vent en tranche étincelante,
Comme sous une pluie on voit pencher des blés.

Les glaives dentelés font d’affreuses morsures ;
Le poignard altéré, plongeant dans les blessures
Comme dans une coupe, y boit à flots le sang ;
Et les épieux, rompant les armes les plus fortes,
Pour le ciel ou l’enfer ouvrent de larges portes
Aux âmes qui des corps sortent en rugissant.

Quelle férocité de dessin et de touche !
Quelle sauvagerie et quelle ardeur farouche !
Qui signa ce poème étrange et véhément ?
C’est toi, maître suprême, à la main turbulente,
Peintre au nom rouge, roi de la couleur brûlante,
Divin Néerlandais, Michel-Ange flamand !