Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 2, Lemerre, 1890.djvu/168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Comme du froc sinistre il allonge les plis ;
Comme il sait lui donner les pâleurs du suaire,
Si bien que l’on dirait des morts ensevelis !

Qu’il vous peigne en extase au fond du sanctuaire,
Du cadavre divin baisant les pieds sanglants,
Fouettant votre dos bleu comme un fléau bat l’aire,

Vous promenant rêveurs le long des cloîtres blancs,
Par file assis à table au frugal réfectoire,
Toujours il fait de vous des portraits ressemblants.

Deux teintes seulement, clair livide, ombre noire ;
Deux poses, l’une droite et l’autre à deux genoux,
À l’artiste ont suffi pour peindre votre histoire.

Forme, rayon, couleur, rien n’existe pour vous ;
À tout objet réel vous êtes insensibles,
Car le ciel vous enivre et la croix vous rend fous,

Et vous vivez muets, inclinés sur vos bibles,
Croyant toujours entendre aux plafonds entr’ouverts
Éclater brusquement les trompettes terribles !

Ô moines ! maintenant, en tapis frais et verts,
Sur les fosses par vous à vous-mêmes creusées,
L’herbe s’étend. — Eh bien ! que dites-vous aux vers ?

Quels rêves faites-vous ? quelles sont vos pensées ?
Ne regrettez-vous pas d’avoir usé vos jours
Entre ces murs étroits, sous ces voûtes glacées ?

Ce que vous avez fait, le feriez-vous toujours ?


Séville, 1844.