Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 2, Lemerre, 1890.djvu/182

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Un aveugle destin au gouffre nous conduit ;
Pour guider notre esquif sur cette mer profonde,
Dont tous les vents ligués fouettent, en grondant, l’onde,
        Pas une étoile dans la nuit !

L’art et les dieux s’en vont. — La jeune poésie
Fait de la terre au ciel voler sa fantaisie
Et plie à tous les tons sa pure et chaste voix.
On ne l’écoute pas. — Ses chants que rien n’égale
Sont perdus comme ceux de la pauvre cigale,
Du grillon du foyer ou de l’oiseau des bois.

Craignant le temps rongeur pour son œuvre fragile,
Le sculpteur veut changer son plâtre et son argile
A l’airain de Corinthe, au marbre de Paros :
Le riche, gorgé d’or, marchande son salaire,
Hésite, et n’ose pas lui jeter de quoi faire
        L’éternité de ses héros.

Le peintre, tourmentant sa palette féconde,
D’un pinceau créateur fait entrer tout un monde
Dans quelques pieds de toile, et, vrai comme un miroir,
A chaque objet doublé redonne une autre vie.
— Par d’ignobles pensers la foule poursuivie,
Sans avoir compris rien, retourne à son comptoir.


II


Qu’est devenu ce temps où, dans leur gloire étrange,
Le jeune Raphaël et le vieux Michel-Ange